4 avril 2014
Présentation de l’installation “Des archipels en lutte: les îles postexotiques” dans le cours de Cristina Castellano
INSTALLATION ILES POSTEXOTIQUES: descriptif du projet
Bâtiment B2
Des archipels en lutte : réfléchir sur les pratiques de production des savoirs en situation diasporique
Nos séjours à Paris et nos expériences de
formation et de recherche au Centre d’Etudes Féminines et d’Etudes de
Genre à Paris 8 ont marqué une étape des nos vies en déplacement. Cela a
signifié repenser nos propres subjectivités à travers une institution
française, son histoire, son apparat/appareil intellectuel et
philosophique national mais aussi grâce aux rencontres variées avec les
personnes qui, depuis partout, fréquentent le Centre. On a vécu la
tension entre Paris en tant que capitale mondiale de la Culture et les
revendications postcoloniales des savoirs, entre un centre de production
intellectuelle et les traditions périphériques de la pensée, entre des
disciplines dont le statut est reconnu et d’autres qui restent
marginales. Il s’agit là d’un des nœuds du féminisme contemporain sur
lequel sont centrées nos recherches singulières et qui, à notre avis,
pose des questions essentielles sur la vie du Centre.
Bâtiment B2 : rez-de-chaussée
Dans ce cadre et à partir de nos vécus,
nous proposons une réflexion sur les cultures diasporiques que nous
incarnons. Notre contribution naît d’une collaboration entre les
pratiques artistiques et celles propres à l’anthropologie. Elle
s’articulera donc sur plusieurs dimensions.
En premier lieu, il s’agira de poser des
questions autour de la diaspora, d’interroger les significations
diverses qu’on a attribué à cette notion depuis la fin des années
soixante (Schnapper 2001). Au début utilisé spécifiquement dans les
études historiques, maintenant ce concept est employé largement au sein
des études de genre et queer. Il s’agira donc d’orienter la réflexion
sur nos propres vécus d’étudiantes, de chercheuses, d’activistes, pour
nous demander : comment chacune des personnes qui fréquentent le Centre
fait-elle/il partie de situations diasporiques ? Et de quelles façons,
éventuellement, cela influence-t-il nos postures dans la recherche ainsi
que nos positionnements politiques ?
Parmi les aspects divers que ces
questions mettent en lumière, nous proposons de repenser les liens
multiples et les contradictions entre le chez soi et les savoirs,
c’est-à-dire entre la perte (partielle, totale, inconsciente, etc.) d’un
chez soi et la nécessité de faire un savoir (savoir faire, savoir être)
de cette expérience. Quelles sont les pratiques que nous utilisons pour
vivre dans cette tension ?
L’œuvre artistique de María Magdalena Campos-Pons nous en a suggérée une. Dans l’exposition « Everything is separated by water »[1],
elle a exposé des photographies composées par trois parties : à droite
et à gauche deux personnages, parfois la même personne habillée
différemment, parfois des femmes de générations différentes ; le sujet
de la photo du milieu est la chose qui les connecte, ce qu’elles ont en
commun. Nous nous sommes demandées si ce qui est au milieu pouvait
représenter les liens, les connections, à la fois les traductions et
l’intraduisible, les pertes, les manques, les tensions. Ce qu’il y a
entre. Ou bien ce qui nous permet de survivre et d’apprendre à nous
« situer » (Haraway).
Qu’est-ce qu’il y a/ Qui y-a-t-il entre nous mêmes et cette langue qu’il faut apprendre, le français?
Qu’est-ce qu’il y / Qui y-a-t-il a entre nous-mêmes, nos lieux d’origine et cette ville, Paris?
Qu’est-ce qu’il y a / Qui y-a-t-il entre nous mêmes et ce Savoir?
Qu’est-ce qu’il y a / Qui y-a-t-il entre nous mêmes et ce Féminisme?
Nous avons répondu que sans doute entre nous et tout ce reste, il y avait la mer et des îles[2].
L’image que cette réponse évoquait était liée à nos lieux d’origine,
deux îles, la Sicile au Sud de l’Italie et l’ile de Lošinj, en Croatie.
Et pourtant, en choisissant cela, on percevait le risque de confirmer
justement l’imaginaire d’un ailleurs exotique et exotisant qu’on
entendait démentir. De là découle l’idée de représenter des îles post-exotiques.
Nous imaginons les espaces du Centre
d’Etudes féminines et d’Etudes de Genre parsemé d’îles. Il s’agit de
géocorps de traduction : des objets capables de nous traduire dans cet
espace, de traduire à la fois nos positionnements actuels, nos premiers
souvenirs et nos prochains projets. Les processus culturels, politiques
et historiques qui traversent ces îles, les cadres nationaux dans
lesquels elles sont inscrites, les transforment dans des lieux, pour
nous, difficiles à vivre. Elles deviennent lourdes : des lieux à perdre
où il est difficile de revenir, des lieux à décoloniser, toujours
présents dans nos autoreprésentations ainsi que dans nos interprétations
du réel.
A Paris il n’y a pas la mer, ce fluide commun qui touche toutes les côtes.
Il n’y a pas la mer, comme pour Antoni à Stockholm[3].
Mais nous travaillons, avec les matériaux, dans le même sens. Elle a
assemblé des objets que des ami-e-s, des familiers et des proches lui
ont offerts, pour former une corde de 78 mètres de long qui, en
traversant l’espace d’exposition, une fois dehors, amarre un petit
bateau dans le port[4].
Or, nos matériaux de départ sont des
vêtements d’occasion pour femmes, certains appartenant à des amies ou à
des proches et d’autres pris dans des brocantes, au prix d’un euro la
pièce. Ces tissus sont pour nous pleins de rêves, d’odeurs, d’attentes
et de silence : tous parcours anonymes que nous imaginons retenus dans
la toile. C’est pourquoi les îles seront réalisés aussi avec des tissus
que les étudiantes en genre nous donneront. On les coudra ensemble. La
couture : une sorte de technique héritée, qui a à voir avec l’histoire
diasporique de ma grand-mère istrienne. Entre autres, féminisme signifie
aussi faire en sorte que les énergies vitales soient transmises par les
générations jusqu’à devenir capables de transformer les vies des
inconnu-e-s.
Nous imaginons d’occuper l’espace de
l’Université par des îles fantastiques, réalisées et cousues en toile,
remplies d’ouate de rembourrage synthétique et envoyées par la poste[5].
Ces îles seront composées par des formes différentes qui traduisent nos
souvenirs, la proximité et les mélanges dont chacune d’entre nous est
porteuses. Les îles mesureront plusieurs mètres en long et pas plus de
deux mètres en haut. Elles seront reliées par des sortes de cordons
ombilicaux qui vont les parcourir comme des routes en connectant les
unes aux autres. Les superficies des îles seront composées par plusieurs
morceaux de corps humains réalisés avec des tissus de couleurs
différentes. Nous proposons deux archipels, chacun formé par trois îles
faites de vêtements d’occasion pour femmes et connectées entre elles ;
nous imaginons un archipel situé au rez-de-chaussée du bâtiment B et
l’autre accroché au plafond du même bâtiment. Au dessous des îles
accroché au plafond, la phrase « chi perde trova » traduite en français
et coupée en trois mots : qui perd trouve. Accrochés aux îles au
rez-de-chaussée il y auront des feutres noirs afin que les étudiant-e-s
puissent les marquer au passage.
Comment traduire la mer à Paris? A
travers l’occupation de l’espace de l’université par des archipels en
lutte, à travers la transformation en mou ou doux de tout ce que nous
percevons comme dur et inconfortable ou violent. A travers, enfin, une
ouverture du généalogique à d’autres histoires diasporiques.
les îles postexotiques
Les îles postexotiques est un
projet trans national-sexuel-linguistique-frontalier, né d’une
collaboration anthropologique-artistique et d’une correspondance
d’imaginaires et de rêves entre des îles. Il s’agit d’archipels en
lutte, des lieux créatifs, humides et collectifs qui ont été imaginés en
2013 entre Vérone (Italie) et Valencia (Espagne).
[1] Maria Magdalena Campos-Pons, Everything is separeted by water/Tout
est séparé par l’eau, rétrospective de 20 ans de créations de
l’artiste, Indianapolis, 2006 (puis au Bass Museum in Miami et à
Nashville en 2010).
[2]
Gilles Deleuze, « L’île déserte et d’autres textes. Textes et
entretiens 1953-1974 », Minuit (coll. Paradoxe), Paris, 2002, pp. 11-17.
[3] Janine Antoni, Moor, installation faite pour l’exposition « Free port » au Magasin 3 de Stockholm, Suède, 2001.
[4]
Les deux artistes que nous venons de citer, Janine Antoni et María
Magdalena Campos-Pons, proviennent de deux îles de l’espace des
Caraïbes, Bahamas et Cuba.
[5] Le travail que nous allons réaliser s’inscrit dans le parcours artistique visible sur la page web http://lara-bia.tumblr.com, nous imaginons sa réalisation à travers l’utilise de deux pratiques artistiques spécifiques : la couture et l’art postal.
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